Une découverte sensationnelle

Publié le par Nectaire Tempion

 Dans le fonds Fu Manchu, au British Museum, cette copie, daté 95 sans précision de siècle, d’une œuvre qu’on croyait perdue :

 

Chronique des Han occidentaux

Par Heng Li

(traduction : Nectaire Tempion)

 

          Chapitre premier

Où l'on conte comment

Monsieur Rat qui chie devint Fils du Ciel

 

Les jours s'écoulent et le temps fuit, comme l'eau descend de la source à la mer.

Inexorablement.

Sans fin.

Le fleuve, qui baigne la capitale du Nord, naît dans les monts du Centre, et se jette clans la mer de l'Ouest.

Le vent de l'intelligence, qui en fait la ville des Lumières, souffle de l'Est.

Et de nombreux barbares, venus de leur plein gré, parfois clandestinement, des pays tributaires du sud, balaient, en signe de respect, les rues de cette métropole.

Ainsi, les cinq points cardinaux concourent à l'harmonie, et rehaussent l'éclat, du siège de l'empire.

Et le temps passe, comme l'eau glisse entre les doigts.

Tout change, ou rien ne change. Le changement est permanent, et la permanence immanente.

C'est de l'eau qui coule.

Faut-il donc regretter, à l'instar des vieillards qui n'ont pas trouvé la sagesse, la belle époque où les mandarins étaient intègres, les enfants bien élevés, les vaches grasses et les dynasties stables ?

Cet Age d’Or n'est-il pas mythique ?

Et puis, même si l'agitation des hommes prend d'autres apparences, ne sont-ce pas là friselis à la surface de l'eau ?

 

De nos jours, le mandat céleste est à durée déterminée.

Il s’épuise en sept ans, mais il est renouvelable.

A chaque fin de règne, on parle de le réduire à cinq.

C'est un nombre propice : depuis la capitale, le souverain répand les cinq bonheurs sur la population.

Et puis, deux fois cinq font dix : sept ans sur le trône du Dragon laissent à l'empereur sortant un goût de trop peu. Ses rivaux, en revanche, et bien souvent le peuple aussi, estiment que dix ans, ça suffit.

Mais, une fois en place, le nouveau fils du Ciel considère que sept ans tiens valent mieux que dix tu les auras. Après Quoi, il sera candidat à sa propre succession.

Ainsi, le septennat se perpétue.

 

Est-ce à dire que le Ciel est tenu par ce terme certain ?

Bien sûr, l'empereur d'En Haut ne congédiera pas son homologue terrestre, quelle que soit l'ampleur de ses fautes.

Mais Il manifestera son courroux par des avertissements, puis des calamités.

Le Saint Homme les craint, ses rivaux les espèrent, et tous consultent assidûment un instrument inventé par des barbares du lointain Ouest : le baromètre.

 

Le trône du Dragon est devenu un siège éjectable : plus question de fonder une dynastie. Mais cela ne décourage pas les ambitieux : à la Cour, et même au sein du peuple, la foire d'empoigne n'a pas de répit.

Néanmoins, certains rites doivent être respectés.

N'importe qui peut aspirer à la candidature, mais on ne devient candidat officiel qu'après avoir reçu l'aval d'une coterie de notables.

Ensuite, les candidats brûlent de la monnaie de papier, et jurent à qui mieux mieux que si leur règne arrive, l'harmonie du monde sera rétablie, les injustices disparaîtront, la prospérité régnera et les impôts diminueront. Certains ajoutent que les barbares iront se faire pendre ailleurs.

Alors viennent les cérémonies, sous la forme de deux sacrifices au Ciel, à une semaine d'intervalle.

 Ce n'est point l'empereur sortant qui se rend au temple du Ciel, pour accomplir ces sacrifices : le peuple en est le desservant.

A cette fin, l'Administration répartit des urnes dans le monde entier, ou, plus exactement, dans le monde civilisé, car les barbares ne sont admis à pratiquer les rites que s'ils sont cuits. Et, justement, leur degré de cuisson prête à controverse.

Le jour du premier sacrifice, les gens du peuple, après s'être purifiés en s'isolant derrière un rideau, déposent pieusement dans le vase rituel un carré de papier au nom d'un candidat. De cette manière, ils supplient l'Empereur de Jade d'octroyer le mandat céleste à celui-là.

On compte les suppliques par nom de candidat, et l'on retient les deux qui en ont obtenu le plus.

Les autres sont éliminés.

Le second sacrifice, conduit selon les mêmes modalités, donne l'investiture du Ciel au candidat le plus populaire.

Qui ne le restera sans doute pas bien longtemps ...

 

Mais j'ai promis de raconter comment Monsieur Rat qui chie devint fils du Ciel.

 

Fils d'un maître d'école qui devint usurier, le jeune Rat qui chie fit de brillantes études, couronnées par la réussite au concours impérial. Oublieux de quelques lubies de jeunesse, car la carpe, devenue dragon, pense désormais en dragon, il embrassa la carrière administrative avec la fougue qui est au fond de son caractère. Bientôt, il entra dans le cercle des courtisans de l'empereur régnant, Double Face le Grand, puis de son successeur, Pompe à sous, qui mourut en charge.

Alors, il soutint activement la candidature de M. Beau nom d'emprunt, qui, dès son avènement, le nomma Premier ministre.

Beau nom d'emprunt était épris de tout ce qui était moderne : par exemple, les voitures volantes dotées d'un odorat de chien. Un conseiller lui avait proposé de prendre pour nom de règne : "accélérateur de particules” , mais il jugea cette dénomination incorrecte et ouvrit l'ère du "Progrès dans la Voie".

Malheureusement, cette voie n'était point celle de M. Rat qui chie, qui se montra de plus en plus rétif aux volontés de son maître, jusqu'à encourir la disgrâce.

M. Rat qui chie en éprouva un ressentiment prolongé, et fit en sorte que le premier mandat de l'empereur Beau nom d'emprunt soit également le dernier.

L'empereur Moine errant, monté sur le trône du Dragon à la faveur de cette zizanie, lui avait promis la charge de Premier ministre. Mais il préféra la confier à un autre, avec lequel il ouvrit l'ère : "Loyauté et justice".

Ulcéré, M. Rat qui chie  consacra dès lors toute son énergie à forcer la main au Saint Homme. Il y parvint au bout de cinq ans d'un règne fort calamiteux.

Le nouveau souverain avait rapidement déçu les espoirs qu'il avait portés, car il avait promis la lune au peuple, mais l'Empereur  d’En Haut n'envisageait pas de la décrocher.

Et puis, force est de constater que l'harmonie du monde, dont il était pourtant comptable, n'était pas son bol de thé. Il s'épanouissait dans les dissensions et les coups fourrés. De sorte qu'il accomplissait les rites, mais sans efficace.

Dès les premiers mois de son règne, le Ciel lui envoya quelques coups de semonce. Puis vinrent les calamités : le baromètre rejoignit la Bourse à la baisse, les initiatives des ministres jetèrent le peuple dans la rue, les scandales fusèrent sous les pas de l' empereur comme feux d'artifice, n'épargnant pas son entourage le plus proche, et même, les sauvages à peau noire d'un archipel lointain se rebellèrent contre une juste sanction : ne plus être admis à contempler la face du Dragon, à l'occasion des hommages tributaires, tant qu'ils resteraient cannibales.

Discrédité, mais pas démissionnaire, l'empereur Moine errant sacrifia son favori, M. Roquet hargneux, et appela, enfin, M. Rat qui chie à Ma Ti-nong (c'est le nom du yamen du premier ministre).

Il y resta deux ans, et prit, si fermement, le contre-pied du souverain que le baromètre impérial se refit une santé.

Suprême injure : il opposa sa candidature à celle de l'empereur sortant. Mais tant d'arrogance ne pouvait prospérer : l'empereur Moine errant reçut l'investiture du Ciel.

Non sans peine, car un rival s'était dressé contre lui, au sein de sa propre coterie : M. Trois quarts.

Le candidat Moine errant fut contraint, pour le neutraliser, de lui promettre, publiquement, le poste de Premier ministre. Il tint parole, mais considéra M. Trois quarts comme la plaie de son règne. A un annaliste qui lui demandait son préféré parmi ses successeurs envisageables, il répondit : " en premier, Voiles dehors ; deuxième, Babar (un mandarin gros comme un éléphant) ; troisième, Beau nom d'emprunt ; quatrième, Rat qui chie ; cinquième, mon chien ; sixième, Trois quarts " .

Pourtant, M. Trois quarts servait son maître de son mieux : il reculait les échéances, désamorçait les bombes, priait le Ciel que les orages, épargnant les récoltes, crèvent en mer. La manière dont il apaisa les sauvages illustre sa méthode : le saint décret qui les privait d'hommage tributaire  ne fut pas rapporté; mais sa mise en vigueur fut reportée à dix ans (donc, au-delà du mandat en cours). Entre-temps, l'archipel fut divisé en quatre circonscriptions: trois contrôlées par les cannibales soumis, qui avouaient, le front dans la poussière, que c'était bien fait pour eux ; la quatrième, abandonnée aux cannibales insurgés, qui clamaient, le casse-tête à la main, leur droit imprescriptible à contempler l'auguste face de Sa Majesté sacrée.

Ces efforts n'empêchèrent pas le second règne d'être encore plus calamiteux que le premier. Le peuple, désabusé, confondait, dans un égal mépris, le Prince, les coteries, les eunuques et les mandarins.

Encore plus discrédité, mais toujours pas démissionnaire, l'empereur Moine errant fit appel à M. Couille molle pour former le gouvernement.

 

Nourri dans une famille de marchands hanistes, et policé par une éducation choisie, c'était un parfait serviteur de l'Etat ; clerc promu, fonctionnaire modèle, conseiller avisé, courtisan rompu aux bienséances, ministre des Finances habile : une carrière sans faute. Sa coterie était celle de M. Rat qui chie, un ami personnel. Homme de compromis, au point de paraître timoré, il sut ménager au vieil empereur, dont la santé laissait à désirer, une fin de règne décente. Et tout au long de son ministère, le baromètre de Ma Ti-nong resta bloqué au beau fixe.

Il crut avoir acquis, par cette conduite exemplaire, des mérites suffisants pour accéder au mandat céleste. Mais c'était compter sans M. Rat qui chie.

 

Ce dernier fut, de loin, si l’on excepte un candidat gênant, mais pas susceptible de l’emporter, M.  Extrait de pénis, le premier prétendant à se déclarer. Ses rivaux s'en réjouirent, car il serait déjà épuisé quand ils entreraient en lice. Mais M. Rat qui chie était infatigable, et promettait, jurait, crachait. avec un entrain communicatif, que, sous son règne, les étudiants seraient mandarins, les exclus inclus, les aléas éliminés, les subsides majorés, et les impôts réduits. En outre, on raserait gratis, car il faut se méfier des barbus.

 

De tous les barbares, en effet, les barbus étaient les plus exécrés, et pas seulement des petits-Han.Dans leur lointaine contrée, leurs congénères s'étaient révoltés contre le gouvernement local, naguère institué par une faveur de l'empereur Double Face le Grand, sous un prétexte scandaleux : ils étaient pourchassés comme des criminels, parce qu'ils avaient gagné les élections que le gouvernement avait choisi d'organiser.

Les admirateurs du régime qui fit la réputation d'Athènes, et fait le bonheur des Suisses (une peuplade montagnarde), les dénoncèrent sans délai ni pardon comme ennemis de la démocratie. D'un autre côté, les anciens serviteurs de l'empereur Double Face, une des grandes figures de l'Histoire, étaient, à la fois, outragés dans leur piété filiale, et abasourdis par tant d'ingratitude... Mais ce n'était pas le plus grave : au coeur même de l'empire, les barbus faisaient porter à leurs fillettes un foulard qui bafouait la laïcité de l'Etat. Nul, dans ces conditions, n'élevait la voix pour les défendre, pas même les missionnaires catholiques, pourtant si prompts à tout excuser, car ils assassinaient des moines.

 

Si les barbus faisaient l'unanimité contre eux, M. Rat qui chie, quant à lui, ne laissait pas de séduire une large fraction du peuple, par son éloquence et son dynamisme. Quand il se déclara, le candidat Couille molle, au contraire, déçut par un discours insipide. Il ne promettait pas grand-chose, et rien qui fît rêver. On douta, en haut lieu, que ce bon serviteur eût l'étoffe d'un maître. Des défections se firent jour, parmi ses partisans, jusqu'au sein du gouvernement. Et même, M. Jus de pet, ministre des Affaires barbares, devint le lieutenant de M. Rat qui chie.

Devant de telles divisions, la coterie de l'empereur sortant, déconsidérée entre toutes, se prit à espérer :  M. Jour sans pain, son candidat, pourrait survivre au premier sacrifice, grâce à une clientèle indéfectible, et fort nombreuse, de maîtres d'école, secrétaires de yamen et valets de bourreau. Et, au second tour, qui sait ?

 

 Il y eut bientôt neuf candidats, dont seulement cinq clercs promus.

 

- "Quelle honte !" diront les nostalgiques d'un passé embelli par le regret de leur jeunesse. "Comment des gens du peuple osent-ils disputer aux lettrés le soin d'assurer le bien public ? "

Il y a pourtant des précédents : la dynastie Brillante ne fut-elle pas fondée par un paysan qui savait à peine lire, mais qui n'en balaya pas moins le  régime gengiskhanide ?

 

A y regarder de plus près, les prétendants populaires n'étaient pas exactement quatre, ni les mandarins tout à fait cinq.

 

Dans le camp populaire, il y avait d'abord, j'ose à peine l'écrire, deux femmes.

- "0 tempora, ô mores !" gémiront de plus belle les nostalgiques, du moins si les jésuites leur ont appris le latin.

Certes, rien n'est pire qu'une femme à la tête de l'Etat ; mais ces deux-là n'avaient aucune chance d'y accéder : leur rôle était de diversion.

Or, dans la Chronique des bords de l'eau, ne  relève-t-on pas plusieurs preuses, sur les cent huit preux dont les exploits nous sont contés ?

- "Peut-être", objectera mon lecteur, "mais si ces dames portent l'arc et le carquois, qui maniera le balai et la pelle à poussière ?"

Les barbares.

 

Le troisième candidat était le grand précieux Pue, de la Tché-ka, dite aussi : secte des Mains rouges.

Cette secte avait longtemps forcé le respect universel, par la terreur qu'elle inspirait. Affaiblie, elle restait entourée de l'estime, ou de la sympathie, de nombreux lettrés, qui gardaient un souvenir ému, et reconnaissant, de la peur délicieuse, et si convaincante, qu'ils avaient éprouvée.

 

 Le quatrième, enfin, était, nous l'avons dit, M. Extrait de pénis. C'était le seul dont l'audience menaçât le camp des mandarins, mais, malgré son humble origine, ce n'était plus, à proprement parler, un homme du peuple.

En effet, il avait obtenu le titre de lettré sélectionné, et même, avait poussé ses études plus loin.

Toutefois, il ne s'était pas présenté aux concours administratifs.

Et, bien sûr, il ne tarissait pas de sarcasmes sur ceux qui avaient été reçus. On connaît l'antienne : ces raisins sont trop verts.

Certes, les mots d'esprit de M. Extrait de pénis, pourtant virtuose de l'invective et stratège de la provocation, n'étaient pas, pour une fois, les pires de ce genre éculé : ainsi, les nobles mandchous désignaient leur pot de chambre sous le nom de "maison des mandarins ". Bien entendu, cela n'avait pas empêché ces envahisseurs politiquement corrects de se réserver la moitié des postes.

 

Il faut le dire, car, même revenu de toutes les vanités, le sage doit le reconnaître : il est indigne de dénigrer une élite de grands commis de l'Etat, recrutés au mérite, que les barbares nous envient.

 

Mais M. Extrait de pénis ne se bornait pas à prétendre que Messieurs Rat qui chie et Roquet hargneux étaient des fonctionnaires interchangeables. Son thème favori  était, précisément, l'invasion des barbares.

Les barbares proliféraient, à l'en croire, plus vite que les lapins, et venaient manger le riz des Han. Si l'on n'y mettait pas d'urgence le holà, la famine, bientôt, deviendrait générale. Et ce n'était pas tout : ces parasites tiraient à eux notre couverture sociale, ces fainéants nous prenaient nos emplois, ces bandits étaient les maîtres de la rue, ces pervers corrompaient la jeunesse, ces diables étrangers s'engraissaient du trafic de l'opium, poison inconnu avant eux, ces démons, enfin, nous volaient notre  identité.

A la porte !

Quant au rasage gratis, c'était un emplâtre sur une jambe de bois. Le vent de l'intelligence, qui, on le sait, vient de l'est, et souffle dans l'oreille des courtisans, avait, sans doute, inspiré cette idée à quelque fonctionnaire.

Mais ce n'était qu'un pet de chien, tombé dans l'oreille d'un sourd : même glabre, en effet, un barbare reste un barbare.

Que la thèse du rasage gratis ait pu faire son chemin prouvait que la bande des quatre, c'est-à-dire les coteries établies, n'abordait pas les vrais problèmes, sauf pour l'imiter, lui, et mal. L'original valait mieux que la copie.

Un fort parti de petits-Han, boutiquiers, ouvriers, chômeurs, buvait ces paroles, où chacun retrouvait sa propre pensée.

Si bien que M. Extrait de pénis ne désespérait pas d'être présent au second tour de sacrifice.

Mais c'était compter, cette fois, sans M. Village aux lys.

 

Venons-en donc aux candidats du camp bureaucratique : ils n'étaient pas tout à fait cinq.

Les trois prétendants investibles étaient Messieurs Couille molle, Jour sans pain, Rat qui chie.

Le quatrième était un mandarin falot, dont les annales n'ont pas retenu le nom.

Le cinquième se dévoua pour éliminer le risque d'un second tour Jour sans pain contre Extrait de pénis, qui constituait la seule chance, mais avec un résultat assuré, du sectaire qu'était M. Jour sans pain.

Car, pour atteindre le second tour, M. Extrait de pénis avait besoin d'un appoint : les hurluberlus. La candidature de M. Village aux lys, vicomte de la Tradition maintenue, le lui fit perdre.

Toutefois M. Village aux lys n'était plus mandarin, ayant démissionné de son poste de sous-préfet à l'avènement de l'empereur Moine errant.

Issu d'une lignée de braves soldats, il avait reçu une éducation très "vieille Chine", et combattait pour les valeurs correspondantes. Passionné, comme ses rivaux, pour le bien public, il s'efforçait d'étendre son audience au-delà de la famille politique réactionnaire. Mais, à la grande joie de ses rivaux, son éducation  et son ambition faisaient parfois mauvais ménage : sa démission le montre bien. Il n'avait jamais pu s'empêcher de compromettre ses chances par des attitudes hurluberlues, déjà inconvenantes chez un étudiant, et franchement choquantes chez un clerc promu.

N'avait-il pas imaginé, alors qu'il préparait le concours impérial, d'exalter dans des ruines la résistance populaire à l'oppression d'un nouveau régime, toujours honoré dans les célébrations officielles ?

C'était, implicitement, nier la légitimité du régime établi, au sein duquel il s'apprêtait pourtant à faire carrière.

Et il avait persévéré.

Si bien que, paradoxalement, le mandat céleste était sollicité, fût-ce à des fins purement tactiques, par un gentilhomme qui en contestait le bien-fondé.

 

Force est, à nouveau, de le dire : les hurluberlus engagent la tradition dans une impasse.

La fidélité absolue au souverain est un devoir, mais ce devoir doit être bien compris.

La princesse Ma-ti, nièce du conquérant Na Po-leao, a dit : "La politique s'est toujours résumée à ceci : ôte-toi de là que je m'y mette ." Ce n'est pas, convenons-en, une raison pour y prêter la main.

Concédons encore aux suppôts d'une tradition dévoyée que la maxime : " S'en remettre au puissant et honnir le faible " n'était pas de celles que préconisait Confucius, qui s'est pourtant donné la peine de la transcrire pour la postérité.

Mais la légitimité n'est pas un droit acquis à jamais, sinon il faudrait, pour l'établir, remonter à l'aube de l'humanité, alors que les dynasties ont succédé aux dynasties. La légitimité procède d'un décret du Ciel, et ce décret est révocable, si son bénéficiaire s'en rend indigne. Le mandat céleste lui est retiré, et un autre l'obtient. Cela se traduit par un changement de dynastie.

Les hurluberlus, qui gardent leur foi à l'empereur déchu, au lieu de se rallier au nouveau fils du Ciel, croient faire acte de piété, mais commettent une impiété majeure envers le Ciel. Car enfin, si le retrait du mandat céleste est injustifié, l'Empereur d'En Haut a fait un caprice. Quel blasphème !

Ce n'est ni par lâcheté, ni par esprit de profit que les lettrés vraiment respectueux du devoir retournent leur veste, quand le vent change. Le gros bâton est empoigné par une main, puis par une autre, mais c'est toujours le gros bâton. Les empereurs passent, mais l'Etat reste : c'est Lui qu'il faut servir.

 

La vertu, c'est le sens de l'Etat.

 

 

 Quant aux hurluberlus, ils sont impuissants devant la volonté du Ciel, et ne peuvent que s'enfermer dans un refus stérile. .

 On n'en donnera qu'un seul exemple, tiré de la plus haute antiquité :

Deux fils de feudataire, Po-yi et Chou-ts'i, avaient décliné la succession au trône paternel, car chacun estimait que c'était le tour de l'autre. Un troisième y était monté. Les deux frères avaient trouvé refuge chez Ki Tch'ang, comte de l'Ouest, et homme de tradition. Mais ce dernier mourut bientôt. Son fils, Ki Fa, passant outre au deuil rituel, se bombarda roi Wou, et entra en guerre contre son propre roi, le dernier de la dynastie Chang. Sa proclamation est dans toutes les mémoires :

 

" Considérant que l'actuel roi des Chang, soumis aux désirs de sa femme, a rompu avec les lois du Ciel, et, détruisant les trois principes fondamentaux, a renié son père, sa mère et son frère;

Considérant qu'il a renoncé à la musique traditionnelle et inventé des chants licencieux, qu'il a substitués aux chants classiques, pour complaire à sa femme ;

Nous, Wou, roi des Tcheou, prenons la décision de lui infliger un juste châtiment, conformément au mandat du Ciel.

Faites tous vos efforts, ô vaillants hommes !

C'est une tentative qu'on ne peut répéter ni deux ni trois fois !”

 

Les deux frères lui adressèrent cette remontrance :

- "Peut-on parler de piété filiale, quand on part en guerre sans avoir rendu à son père les honneurs funèbres ? Peut-on parler d'humanité, quand on s'attaque à son suzerain ?"

 

Cela n' empécha nullement l'arriviste de renverser son roi au lieu de pleurer son père, et de fonder une dynastie qui se maintint pendant plus de huit siècles et demi.

 

Les deux hurluberlus s'interdirent désormais de manger les céréales des Tcheou, et ils se retirèrent dans la montagne, où ils se nourrirent de plantes, à vrai dire peu nutritives. Ils étaient déjà à demi morts de faim, quand on leur fit observer :

- "Puisque vous refusez de manger les céréales de notre dynastie des Tcheou, pourquoi vous nourrissez-vous de plantes qui appartiennent elles aussi à notre dynastie des Tcheou ?"

Ils firent la grève de la faim.

Apitoyé, le Ciel leur envoya une biche pour les nourrir de son lait. Las, peu après, Chou Ts'i se dit : " Si j'attrapais cette biche pour la manger toute entière, ne serait-ce pas mieux ? "

Nul n'est pur.

Mais la biche, ayant deviné ce dessein, ne revint plus, et les deux frères périrent d'inanition.

Selon une thèse, cette histoire de biche magique n'est qu'une fable, inventée, pour se donner bonne conscience, par les bons apôtres qui s'étaient bien gardé de secourir les malheureux.

Il y a peu de juges pèlerins.

En tout cas, ils sont morts de faim. Ne les imitons pas.

"Allons de l'avant, comme le flot s'écoule !"

 

Mais foin de cette digression ! Un peu plus, et je me fendais d'une dissertation à huit cuisses sur les trois devoirs cardinaux. Nous ne sommes pourtant pas au concours !

Certes, pour être savoureux, un texte doit être relevé d'incidentes, et farci d'allusions. Mais il ne faut pas sortir du sujet, et j'étais à deux doigts de le faire. Mon lecteur eut pu se demander si l'ascension de M. Rat qui chie méritait une étude. Pire, il eut pu croire que je me servais du nom de ce personnage historique comme d'un appât pour attirer la pratique, ou comme d'un pavillon de complaisance, qui couvre on ne sait quelle marchandise (les barbares, par exemple).

Revenons donc à nos moutons, ou à nos requins, en langage hurluberlu.

 

A quelques jours du premier sacrifice, le baromètre indiquait : variable, et les devins les plus experts donnaient leur langue au chat.

 

Le résultat surprit un peu quand même :

M. Jour sans pain arrivait premier.

Deuxième : M. Rat qui chie.

M.M. Village aux lys et Couille molle se hâtèrent de faire allégeance à M. Rat qui chie.

- "Le féodal et le comprador", souffla le vent de l'intelligence.

 

Mais les jeux étaient faits. Le second tour donna l'investiture céleste à M. Rat qui chie.

Le nouveau fils du Ciel prit M. Jus de pet pour son Premier ministre. Au nouvel an suivant, il inaugura l'ère : "action sans précipitation".

 

Et maintenant, si vous voulez savoir la suite, reportez-vous à l'épisode suivant.

 

Hélas, la copie s’arrête là.

 

 

 

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