Un autre prisonnier

Publié le par Nectaire Tempion

Au temps où il m’arrivait de regarder la télévision, j’ai vu un feuilleton fascinant, tourné dans une architecture 1930, qui existe toujours, en Angleterre. Le héros y était prisonnier, sans verrous, sans barreaux. Une chose sortant à point nommé de la mer le refoulait à chaque tentative d’évasion. Il était le N°6 et le N° 2, sans doute mandaté par un mystérieux N° 1, l’interrogeait, le tourmentait.

Au téléspectateur  d’interpréter. Pas d’explication clef en main. Y voir une fiction politique serait simplet.

Mais si le numéro un était le numéro six ? Que le gros ballon blanc empêchât le retour du refoulé ? Et que la fin de la série ait interrompu la cure ? Ce n’était plus dicible.

007 a oublié on ne sait quoi. Lui ne veut pas le savoir; il a quitté le service de Sa Majesté et ne souffre pas d’être d’être désigné par un matricule, de même que, chez Hitchkock, tout ce qui évoque des traces dans la neige met mal à l’aise un autre névrosé.

Son psychanalyste, le N° 2, fait son mieux pour lui faire cracher le morceau qui l’étouffe. Parfois, le captif de lui-même éprouve ce que Freud désapprouvait qu’on désignât sous le nom de sentiment océanique. Mais la grosse baudruche blanche du surmoi surgit de l’onde et le refoule dans sa prison intérieure.

Malaise dans la civilisation.

Le N° 6 n’est autre que le N° 1, ce que refuse de savoir le courrier de la reine que fut le commandant James Bond, sous le matricule 007. Une censure musclée y veille, depuis le lendemain matin de sa démission, dont le motif  est banni de sa mémoire. Une mémoire blanche, molle, informe, nettoyée du souvenir insupportable. Jouant à cache-cache avec lui-même, celui qui n’accepte pas d’être désigné par un numéro cherche à sortir de sa névrose en se demandant qui d’autre pourrait bien être le N°1. Le chef du MI 6, ce supérieur hiérarchique sans entrailles, comme tous les patrons ?

Il lui faudrait une pince coupante pour ouvrir une brèche dans les barbelés psychiques mis en place par Mara, la puissance d’illusion, afin de l’empêcher d’accéder à l’enseignement du gourou N° 2. Un tel accessoire n’entre pas, hélas, dans les impedimenta d’un gentleman, dont l’arme d’origine est la Royal Navy. Pourtant, une épingle de nourrice suffirait pour percer, et dégonfler, la baudruche de son ego. Il trouverait alors, en son fin fonds, cette parcelle de brahman, l’absolu primordial, non seulement indicible mais encore inconcevable; en revanche, ineffable. Ouf, la libération.

Mais Mr Bond préfère, comme tout le monde ou presque, souffrir que d’étrangler son ego. Un ego hébergé par Mara dans le cadre cosy et county d’une villégiature balnéaire où l’on imagine volontiers la délicieuse Miss Marple prenant le thé avec son amie Agatha, qui aimait mieux, au lit,   les jeunes archéologues écossais que les vieux détectives liégeois.

Il reste prisonnier.

Nota bene : Freud n’était pas hindou, mais il est mort en Angleterre, en un temps où l’Empire des Indes était encore le joyau de la couronne britannique.

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